Témoignage de Madame Myriam Tsikounas
Entretien avec Myriam Tsikounas par Sébastien Le Pajolec - Mercredi 22 septembre 2021
Sébastien Le Pajolec : Comment êtes-vous arrivée à l’Université Paris-1 ?
Myriam Tsikounas : En juin 1980 j’ai soutenu ma thèse de troisième cycle d’histoire contemporaine, « La Commune filmée », sous la direction de Pierre Sorlin. Depuis la rentrée 1980-1981, je dispensais un cours d’Analyse des images à l’université Paris 8. Comme cela ne me permettait pas de vivre, j’avais signé un CDI à l’institut de sondages BVA, où j’avais la responsabilité du réseau des enquêteurs parisiens. À la fin de l’année 1982 j’ai pris un congé sans soldes car le sociologue François Steudler, que j’avais rencontré par l’entremise de Christian Metz, m’a proposé à Paris 1 un contrat « jeune chercheur » d’une durée de onze mois, l’équivalent de ce que l’on appelle aujourd’hui un post-doc. Il s’agissait de travailler dans le cadre d’une ACI (Action Concertée Incitative) sur la représentation de l’alcool et de l’alcoolisme dans les films français. C’était un projet franco-finlandais piloté, côté français, par François Steudler, qui était alors maître de conférences en sociologie à l’UFR 12. J’ai donc été affectée à un laboratoire dénommé CEDRESS (Centre de Recherche en Sociologie de la Santé) qui était rattaché à l’UFR 12 « Travail et Études sociales ».
Sébastien Le Pajolec : Comment fonctionnait le CEDRESS à votre arrivée ?
Myriam Tsikounas : Le sociologue Remi Lenoir le dirigeait avec François Steudler mais il était très absorbé par d’autres activités, notamment aux côtés de Pierre Bourdieu à l’EHESS, et ce n’est qu’à l’été 1983 que je l’ai rencontré. Dans les faits, François Steudler assurait la direction de cette mini-équipe, qui était pour l’essentiel composée de sociologues. C’est dans ce contexte qu’un premier colloque s’est tenu à Paris 1 en juin 1983 pour présenter les premiers résultats de l’ACI.
Sébastien Le Pajolec : Quand avez-vous commencé à faire des enseignements dans l’UFR 12 ?
Myriam Tsikounas : François Steudler, qui souhaitait prolonger ces recherches sur les représentations de l’alcoolisme et des drogues dans l’audiovisuel français, cherchait le moyen de me garder dans l’UFR. De fait, alors que j’étais allée exposer nos travaux à Helsinki, il a proposé à la directrice de l’UFR de me confier à la rentrée 83-84 deux TD de sociologie. Dans le même temps, Catherine Mills a souhaité que je prenne en charge deux TD d’histoire, en licence 3, au sein du département de « Droit social ». Ces enseignements, vous vous en doutez, étaient plus en phase avec ma formation. En sociologie j’intervenais en première année et aussi dans le cadre de la formation « Développement social » cela représentait à cette époque de gros effectifs, ce cursus avait alors un grand succès.
Sébastien Le Pajolec : Et pour l’histoire ?
Myriam Tsikounas : Il s’agissait d’un enseignement consacré à l’histoire du droit du travail. Le cours était assuré par Jacques Mulliez. Deux ans plus tard, quand Jacques Mulliez a été élu sur un poste de professeur à l’Université de Brest, je l’ai repris mais transformé en cours d’histoire du travail au XIXe siècle. J’assurais aussi un TD rattaché à ce nouveau cours.
À la rentrée 1985 et pendant trois ans j’ai aussi accepté deux TD d’« Histoire des doctrines sociales ». Ce cours, créé par Renée David, venait d’être confié au philosophe Pierre Bouretz.
Sébastien Le Pajolec : Quel était votre statut contractuel ?
Myriam Tsikounas : Certaine de vouloir être enseignant-chercheur, j’avais démissionné de BVA en juin 1984. J’étais occupée à la fois par les travaux que je poursuivais au sein du CEDRESS, car un contrat de recherche avec l’IREB (Institut de Rechercher et d’Études sur les boissons) avait succédé à l’ACI, et par les cours que j’avais pris en charge. Dans les deux cas je m’inscrivais donc dans le cadre de l’UFR 12, mais de façon précaire puisque, pour la recherche comme pour l’enseignement, je n’étais que vacataire.
Sébastien Le Pajolec : Comment vous sentiez-vous dans l’UFR ?
Myriam Tsikounas : C’était vraiment très agréable d’y travailler, pour la recherche comme pour la pédagogie. Il y avait beaucoup de collègues brillants dans leurs domaines, en droit, en économie et en sociologie. Une bonne entente régnait et la pluridisciplinarité, plutôt mal vue ailleurs, était bien mise en valeur autour des questions du travail, de la protection sociale et de la santé publique. Après le départ de François Steudler, élu sur un poste de professeur à Strasbourg, à l’été 1985, je me suis beaucoup investie dans la vie du CEDRESS, Catherine Mills souhaitant qu’on transforme ce centre en un véritable laboratoire pluridisciplinaire qui accueillerait la totalité des collègues de l’UFR 12 le souhaitant. En 1987 mon statut a évolué ; il est devenue plus pérenne car j’ai pu être engagée sur un poste d’assistante associée d’histoire, sur support vacant. J’ai officiellement été « prêtée » à l’UFR 12 et au CEDRESS par l’UFR d’Histoire, et plus précisément par le Centre d’Histoire Sociale alors dirigé par Antoine Prost. Remi Lenoir a proposé que nous rebaptisions le centre en CREDHESS (Centre de recherches et d’études en droit, histoire, économie et sociologie du social). Cet intitulé se voulait être un appel à la pluridisciplinarité, et progressivement l’équipe a été composé d’historiens, d’économistes, de sociologues et de politistes. À la même époque, Catherine Mills m’a aussi demandé d’être déléguée à l’International pour l’UFR.
Sébastien Le Pajolec : Cette fin de décennie a donc été un moment particulièrement important ?
Myriam Tsikounas : Ce fut une période très intense et mouvementée car je devais finir ma Thèse d’État, consacrée à la représentation de la société soviétique dans les films tournés entre 1918 et 1934. Je multipliais les voyages pour pouvoir visionner les films dans les fonds des cinémathèques étrangères, en Finlande (1987) et à Moscou (1988). De plus, à la fin de 1988 une décision ministérielle annonçait la suppression de la Thèse d’État, remplacée par la HDR, ce qui m’obligeait à la finir dans des délais brefs. J’ai soutenu ce travail, sous la double direction de Pierre Sorlin et de Jean-Paul Brunet, en novembre 1990. J’étais devenue maître de conférences à l’UFR 12 en 1988, Catherine Mills ayant réussi à faire créer un poste mixte d’histoire et de communication audiovisuelle, relevant à la fois de la 22e et de la 71e section. Cette création s’inscrivait dans les réformes pédagogiques de l’époque qui voulaient promouvoir dans l’enseignement les nouvelles technologies de l’audiovisuel.
Sébastien Le Pajolec : C’est à partir de ce moment que la communication apparaît dans la maquette du cursus d’AES à Paris 1 ?
Myriam Tsikounas : Oui, à la rentrée 1988, je crée un module de communication en L3, en revenant de Moscou. Au bout de quelques mois je suis rejointe, provisoirement, par Édouard Mills-Affif, aujourd’hui universitaire mais alors documentariste et étudiant en science politique. L’année suivante, j’obtiens un poste de technicien pour nous aider au montage audiovisuel. Il sera occupé par Martine Andréoli. Nous avions obtenu aussi des crédits pour acquérir un banc de montage professionnel. Nous pouvions donc initier correctement les étudiants à la communication interne et externe des entreprises, à la réalisation de petits films. Cela leur plaisait beaucoup, c’était à la fois ludique et professionnalisant et donnait une valeur ajoutée à leur parcours.
Sébastien Le Pajolec : Les enseignements de communication audiovisuelle que vous avez développés ne concernaient que la L3 ?
Myriam Tsikounas : Non, avec un collègue angliciste de l’UFR, Leslie Thompson, au début des années 1990, nous avons créé un DEUST, Diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques, obtenu après deux ans de formation, dans lequel l’audiovisuel avait une large part. C’était aussi l’occasion de profiter de ce que nous avions à disposition, une technicienne qualifiée et des outils performants. L’audiovisuel, à travers la communication interne et externe des organisations, y était enseignée au côté d’autres disciplines telles que le droit du travail et la gestion des entreprises. C’est dans ce cadre-là qu’un peu plus tard ma collègue et amie Anne-Élisabeth Andréassian est arrivée comme PRAG dans l’UFR 12. Malheureusement, le ministère mettra fin à cette expérience après quelques années pour des raisons budgétaires.
Sébastien Le Pajolec : Vous intéressiez-vous aussi à l’administration de l’UFR ?
Myriam Tsikounas : En fait dans mes activités tout était lié et se nouait autour de l’UFR 12 : entre le temps donné à la recherche à travers le CREDHESS, le laboratoire adossé à l’UFR 12, l’investissement pédagogique et les tâches administratives. Quand Catherine Mills, qui avait obtenu un CRCT s’est absentée de l’UFR, au début des années 1990, je l’ai remplacée temporairement à la direction de l’UFR. Entre l’histoire du travail et les enseignements de communication j’étais aussi très prise. En outre, j’étais impliquée dans un partenariat entre Paris 1 et la Mairie de Paris pour la formation de travailleurs sociaux qui préparaient un DSTS (Diplôme Supérieur en Travailleur Social). C’était l’UFR 12 qui prenait en charge ce partenariat pour l’Université. Il a duré cinq ans. J’y encadrais des mémoires qui étaient souvent excellents. Les formations proposées à des professionnels, qu’il s’agisse de ce partenariat ou du cursus de « développement social », constituaient alors de vrais points forts de l’offre que proposait, l’UFR 12, avec un rôle social et intellectuel non négligeable.
Sébastien Le Pajolec : Cet investissement pédagogique et social spécifique à l’UFR 12 trouvait-il un débouché dans la recherche ?
Myriam Tsikounas : D’une certaine façon. Après être devenue professeure d’histoire et communication audiovisuelle en 1993, là encore sur un profil mixte avec un poste libellé 71e section mais ouvert à la 22e section et rattaché à l’École doctorale d’histoire, Rémi Lenoir m’a demandé de codiriger le CREDHESS avec lui. Il m’a aussi proposé de créer avec lui une revue, et après un an de réflexion le premier numéro de Sociétés & Représentations a vu le jour en novembre 1995. Presque tous les enseignants de l’UFR 12 ont écrit dans cette publication, notamment lors de ses premières années, avec des thématiques qui, de manière pluridisciplinaire, croisaient les enjeux au cœur des formations que l’UFR offrait aux étudiants. À cette époque il y avait, outre le laboratoire et sa revue, des tentatives pour développer une recherche spécifique au sein de l’UFR 12 avec l’organisation de journées d’études transdisciplinaires par exemple.
Malheureusement au fil des changements de postes et en raison des obligations de chacun(e), ces démarches n’ont pas été aussi fructueuses qu’elles auraient pu l’être. Et si l’ambiance est restée conviviale, j’ai pu observer au fil des années une forme de repli de chacun(e) vers sa discipline d’origine. Les politiques menées dans l’enseignement supérieur à partir des années 2000 et le sous-financement chronique, le CREDHESS et la revue ne survivant que grâce à l’obtention de contrats de recherche à l’extérieur de l’université, ont sans doute joué un rôle dans cette regrettable évolution. Remi Lenoir, tout en restant membre associé du CREDHESS, est parti diriger à l’EHESS le Centre de Sociologie Européenne. Moi-même, après les arrivées successives d’un nouveau professeur d’histoire, Christian Gras, spécialisé en histoire du travail, l’élection, sur mon ancien poste de MCF, de Christian-Marc Bosséno, spécialiste d’histoire par l’audiovisuel, votre élection sur un poste de même nature, j’ai progressivement rejoint l’UFR d’histoire où j’ai créé un cours d’Initiation à l’analyse des images puis, à la demande Michel Kaplan, un Master d’Histoire et Audiovisuel.
Par ailleurs, comme le CREDHESS, rebaptisé ISOR (Images, Sociétés, Représentations), était une trop petite structure, nous avons été sommés par le MENRT de nous rapprocher d’un autre laboratoire de recherche en histoire. Nous avons été accueillis en 2006 par le Centre d’Histoire du XIXe siècle.
Cette fédération, fructueuse, si elle a permis de sauver l’équipe ISOR et de lui donner un nouvel essor, a malheureusement entraîné le départ des sociologues et fragilisé la pluridisciplinarité.