Témoignage de Monsieur Remi Lenoir

Texte

Témoignage de Monsieur Rémi Lenoir, Directeur de l’UFR 12 de 2001 à 2006.

Propos recueillis à son domicile, en novembre 2023, par Nicolas FORTUNE Chargé de communication à l’IAES et Anne Catherine WAGNER Professeure de Sociologie en AES.

Nicolas Fortuné : Bonjour Rémi pourriez-vous vous présenter et nous retracer votre biographie ?

Rémi Lenoir : Je m’appelle Rémi Lenoir. Je suis né le 17 novembre 1943 à New Yark à côté de New York. Mon père, Jean Charles Lenoir, était officier de la marine nationale. Il avait le grade de contrôleur général de deuxième classe. Ma mère était femme au foyer. Elle était diplômée d’une licence de philosophie. Ils ont eu trois enfants,  deux garçons et une fille.

Anne-Catherine Wagner : Comment se sont déroulées tes études ?

Rémi Lenoir : Après le bac, j'ai fait hypokhâgne et khâgne au lycée Condorcet. Pendant l'année de la khâgne, en deuxième année de prépa, j'ai passé le certificat de littérature française. J’ai obtenu mes certificats de littérature française. Alors sur les conseils de mon père j'ai commencé une licence de droit. Et j'ai choisi la sociologie parce que c'était ce qui me plaisait. Cette discipline est devenue pour moi absolument nécessaire. J’ai fait de la sociologie générale en passant par la psychologie sociale pour finir par la sociologie de l’Afrique. J’ai obtenu mon doctorat de troisième cycle en 1975 et mon doctorat d’Etat en 1985.

Anne-Catherine Wagner : Comment se sont déroulées tes études ?

Rémi Lenoir : Après le bac, j'ai fait hypokhâgne et khâgne au lycée Condorcet. Pendant l'année de la khâgne, en deuxième année de prépa, j'ai passé le certificat de littérature française. J’ai obtenu mes certificats de littérature française. Alors sur les conseils de mon père j'ai commencé une licence de droit. Et j'ai choisi la sociologie parce que c'était ce qui me plaisait. Cette discipline est devenue pour moi absolument nécessaire. J’ai fait de la sociologie générale en passant par la psychologie sociale pour finir par la sociologie de l’Afrique. J’ai obtenu mon doctorat de troisième cycle en 1975 et mon doctorat d’Etat en 1985.

Anne-Catherine Wagner : C’était à Paris 1 ?

Rémi Lenoir : L’université Paris 1 n’existait pas en tant que telle, c’était l’université de Paris. Entre temps, s’est ouvert une session spéciale à l’Ecole des hautes études qui a donné naissance à l’école des hautes études sociales. C’est là que j’ai fait la connaissance de Pierre Bourdieu,  de Jean-Claude Passeron et de Jean-Claude Chamboredon.

Nicolas Fortuné : Avec le recul, que pensez-vous de votre formation ?

Rémi Lenoir : J'aurais aimé devenir professeur de littérature française. J'aimais lire. J'ai passé un certificat de littérature française. Mais je n’avais pas celui de latin. Puis j’ai rencontré Jean-Claude Passeron. J'ai appris qu'il faisait un cours avec Bourdieu, alors j’y suis allé. C'était extraordinaire. J'ai ensuite toujours travaillé avec Bourdieu, avec les gens de chez Bourdieu.

Nicolas Fortuné : C’est ce qui vous a donné cette passion pour la sociologie ?

Remi Lenoir : Oui. Au début de mes études, je n’avais pas un goût particulier pour la sociologie. J'avais suivi un séminaire de Roland Barthes. C’est grâce à Jean-Claude Passeron que j’ai découvert ce que j’avais envie de faire. En assistant à ses cours j’ai été conquis. Je ne pensais plus qu'à ça.

J’ai par la suite passé deux ans à l’École Pratique de Recherche et Action en Sciences Sociales (EPRASS) puis j’ai dû partir au service militaire. Pierre Bourdieu avait appuyé ma demande pour que je puisse accomplir mes obligations militaires sous la forme d’un service civique. Je me suis donc rendu en Algérie pendant deux ans en qualité d’enseignant.

De retour à Paris, j’ai été recruté en qualité de chercheur associé au Centre d'Études des Mouvements Sociaux d’Alain Touraine. Je suis arrivé à Paris 1 en 1968 comme chargé de TD, j’avais 25 ans. À l’origine j’avais été recruté pour y donner des cours de droit de la sécurité sociale sous la direction d’Yves Saint-Jours en qualité d’assistant, puis j’ai été maître assistant en sociologie sous la supervision de Anne-Marie Guillemard.  Ma   thèse, que j’ai soutenue en 1975,  portait sur le troisième âge.  J’ai été recruté comme maître de conférences, puis en 1985 comme professeur des universités. J'ai aussi enseigné 20 ans à Sciences Po. J’ai été élu au conseil supérieur de l’université en 2001, pour quatre ans. Et durant toute cette période, je  travaillais  aux côtés de Pierre Bourdieu en qualité de chercheur au Centre de Sociologie de l’Éducation et de la Culture, devenu le Centre de sociologie européenne.  Une grand partie de mon travail consistait à faire de la recherche chez Bourdieu, j’ai participé à de nombreuses recherches collectives, j’ai publié de nombreux articles en plus de mon livre. J’ai beaucoup travaillé pour la revue créé par Pierre Bourdieu, Actes de la recherche en sciences sociales et j’ai dirigé le Centre de sociologie européenne jusqu’à ma retraite, en 2010.

Nicolas Fortuné : Est-ce que vous pouvez revenir sur votre expérience de directeur de l’AES ?

Rémi Lenoir : De 2001 à 2006 j’ai été directeur de l’UFR12 « Travail et Études sociales » , qui comprenait alors deux départements, AES et droit social. J’avais rédigé une profession de foi assez longue pour expliquer l’esprit de ma candidature et mon attachement à ce qui fait la spécificité de l’UFR et qui a été à l’origine de l’Institut des sciences sociales du travail, dont l’UFR est pour une large part l’héritière. Il a fallu beaucoup de courage et d’énergie aux promoteurs de cette formation – je pense à Marcel David et à Gérard Lyon Caen pour l’imposer. L’UFR12 s’est défini dès l’origine autour des sciences juridiques et sociales du travail, objet par essence pluridisciplinaire, peu apprécié de l’orthodoxie académique.  L’UFR 12 était  une entité à la fois scientifique et pédagogique originale, qui cumule et concentre plusieurs difficultés de l’université française : hétérogénéité disciplinaire, disparité des provenances et des formations des enseignants, diversité géographique et sociale des étudiants. C’était pour moi à la fois un laboratoire expérimental et un exemple. Il y avait à l’époque des tensions, entre ceux qui souhaitent mettre l’accent sur la professionnalisation et ceux qui défendent une conception plus classique de l’enseignement universitaire : une formation intellectuelle et scientifique. J’avais deux objectifs forts. D’une part, je voulais soutenir la diversité de nos étudiants et œuvrer pour la démocratisation de l’accès  à  l’enseignement supérieur -je pensais notamment qu’il fallait renouveler les pédagogies et généraliser les cours-TD plutôt que de conserver les enseignement en amphithéâtre. D’autre part, je défendais une conception exigeante de la pluridiplinarité en privilégiant l’enseignement de la culture générale et en développant la recherche. Je ne suis pas sûr d’avoir tout réussi … Mais c’était une bonne expérience. J’ai apprécié le travail de liaison avec la présidence, avec les collègues de droit puisque on était rattaché au droit social. Cela dit, c’était très lourd, car à l’époque je dirigeais aussi  mon laboratoire, le Centre de sociologie européenne,  qui me prenait beaucoup de temps. Heureusement pour moi, en AES, j'ai été beaucoup aidé par Élisabeth Jolivet qui était directrice du département et par Dominique Senès, la responsable administrative.  Et dans mon laboratoire par Jocelyne Pichot, qui est formidable.

Anne-Catherine Wagner : Tu as ensuite œuvré au  rapprochement entre le Centre de Sociologie Européenne (CSE) longtemps dirigé par Pierre Bourdieu et le Centre de Recherches Politiques de la Sorbonne (CRPS) fondé par Jacques Lagroye, qui a donné naissance en 2010 au Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP). C’est maintenant un énorme laboratoire, très dynamique.

Rémi Lenoir : Oui c’était devenu une nécessité. Et cela a permis d’ancrer la recherche en sociologie dans Paris 1. J’étais aussi impliqué dans la recherche menée en AES. J’avais monté le Centre de recherches et d’études en droit, histoire, économie et sociologie du social (CREDHESS), qui fédérait les chercheurs de l’AES, puis nous avions fondé en 1995 avec Myriam Tsikounas, la revue Sociétés et représentations qui est une revue pluridisciplinaire, dans l’esprit de l’AES et qui est toujours une très bonne revue.

Anne-Catherine Wagner : Sur quoi portait ta thèse d'État ?

Rémi Lenoir : C'était sur les systèmes de sécurité sociale et la mobilité sociale. J'avais fait quatre volumes. J'ai repris l'essentiel dans le livre que j'ai fait sur la Généalogie de la morale familiale [1]

Nicolas Fortuné : Quel est le thème de prédilection de vos  recherches ?

Rémi Lenoir : Ce sont certainement les classes sociales et le droit de la morale familiale. Ma spécialité, c’étaient les classes sociales. En dehors de ça, ça a été le droit. J'ai travaillé aussi sur le journalisme. J'ai dû arrêter de faire de la recherche quand j'ai été nommé directeur d’AES et directeur du CESSP. Ça faisait trop. Mais j’ai publié mon livre, c’est mon œuvre. Puis, à ma retraite, j'ai repris les articles que j'avais écrits sur Bourdieu. Je m'apprêtais à faire un livre sur la sociologie et la méthodologie, mais j'ai eu des soucis de santé.

Anne-Catherine Wagner : Te souviens-tu du moment le plus difficile que tu aies vécu à l'UFR 12 ?

Rémi Lenoir : Je peux difficilement répondre parce que pour moi, c'était facile. J'étais bien épaulé en tant que directeur. Reste que les conflits de personnalités étaient éprouvants. Il y avait une culture du débat, et les clashs étaient quelquefois violents mais sans rancune. Et j’aimais vraiment beaucoup les conversations que j'ai eues avec les collègues du département de droit social. Je m'entendais très bien avec eux.

 

[1] Rémi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil, 2003, 587 pages.